les bonnes intentions du gouvernement inscrites dans un programme commun

August 2024 · 12 minute read


Depuis sa nomination à Matignon, Élisabeth Borne a déjà pas mal échangé avec les présidents de département, tout comme l'ont fait d'autres membres du gouvernement. Alors si sa venue dans le Lot-et-Garonne ce 14 octobre en clôture des assises de Départements de France était attendue par les élus, les sujets étaient déjà connus et sur la table. Et effectivement, il n'y aura pas eu de réelle surprise ou annonce à Agen. Plutôt des engagements de moyen et long terme. Et, comme cela a déjà été dit devant d'autres assemblées d'élus locaux, l'assurance d'une "nouvelle méthode" notamment symbolisée par la démarche de l'"agenda territorial" que le ministre Christophe Béchu, également présent vendredi à Agen, est chargé d'orchestrer.

Intervenant dans la matinée lors d'une table-ronde intitulée "Mieux agir au service des Français", le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a d'ailleurs rappelé l'un des postulats de cet "agenda" : ne pas "imposer" ni même lister d'avance les sujets qui seront discutés entre le gouvernement et les représentants des collectivités. Autre principe : "discuter des compétences et des moyens en même temps". Et commencer par un "diagnostic". Lequel, selon Christophe Béchu – qui a présidé pendant dix ans le département du Maine-et-Loire –, inclut au moins trois constats pour l'échelon départemental : des "écarts objectifs de richesses" entre départements, une importante "décorrélation entre dépenses et recettes" (en gros, les départements qui ont le plus de dépenses, notamment sociales, sont aussi ceux qui ont le moins de recettes) et "une insuffisante autonomie dans les façons de mettre en œuvre les choses".

De son côté, Élisabeth Borne considère qu'il s'agit de "mettre nos forces en commun", comme le lui demande Départements de France (DF). Et comme l'a redit François Sauvadet, le président de l'association, en accueillant la cheffe du gouvernement : "Nous vous avons proposé de coconstruire les politiques publiques qui nous concernent" et de "faire bloc" pour "aider les Français à passer au mieux cette période difficile". Pour François Sauvadet, cette promesse de dialogue est "un vrai changement". De même que les propos d'Emmanuel Macron sur la décentralisation tenus quelques jours plus tôt en Mayenne (voir notre article du 10 octobre) sont selon lui "un chemin nouveau", "une expression nouvelle".

C'est d'ailleurs dans le sillon de ces propos présidentiels que la Première ministre s'est d'emblée placée, indiquant que "cette nouvelle étape pour une vraie décentralisation" impliquera d'abord de "faire un bilan des lois Maptam et Notr" (pas une mince affaire) et d'"aller au bout de l'application de la loi 3DS" (dont les décrets tardent à paraître). Les piliers de cette étape à venir : compétences, ressources, responsabilités, différenciation, lisibilité.

Autre conviction portée par Élisabeth Borne : "une décentralisation construite autour d'un projet de territoire" et fondée sur "le couple préfet / président de conseil départemental". Rappelant son passé de préfète, elle estime que "le dialogue entre le préfet et l'élu doit se faire le plus en amont possible".  Et insiste, là encore comme l'avait fait Emmanuel Macron le 10 octobre, sur "le retour de l'État dans les territoires", citant à ce titre France Services, la réouverture de sous-préfectures ou encore la création de nouvelles brigades de gendarmerie dans le cadre de la Lopmi.

On relèvera que sur la question du "couple" préfet-élu, le président du Sénat, intervenu la veille au centre des congrès d'Agen, avait exprimé une mise en garde : "L'État central doit faire confiance à l'État territorial. Il faut que le préfet ait autorité sur ses services. Et que l'on cesse de voir ces cas où une autorité supérieure vient casser les accords scellés entre un préfet et un élu." Faisant par ailleurs valoir les travaux qu'il compte lui-même engager sur la décentralisation (voir notre article du 5 octobre), Gérard Larcher a au passage exprimé quelques doutes sur la volonté décentralisatrice de l'Élysée : "Sans vouloir être cruel, c'est la troisième annonce. 2017, puis 2019, et maintenant 2022. Je souhaite que ce soit enfin la bonne annonce."

Les compétences sociales remises sur le métier

Élisabeth Borne a listé les dossiers sur lesquels gouvernement et départements vont concrètement travailler ensemble. Une liste probablement préparée en amont des assises avec DF, un communiqué et un document de dix pages cosignés par les deux parties ayant été diffusés juste après la clôture. Ces dossiers sont principalement liés aux missions sociales des départements.

Finances : quelques confirmations et un "travail prospectif"

La seule annonce sonnante et trébuchante faite ce vendredi concerne un enjeu qui ne figure pas dans le programme commun et que Christophe Béchu n'a pas non plus abordé. La transition écologique. Alors que François Sauvadet avait eu l'occasion de se demander si les départements auraient accès au "fonds vert", la Première ministre a fait savoir que la moitié de l'"enveloppe supplémentaire" annoncée une semaine plutôt devant la convention nationale des élus intercommunaux (voir notre article) "sera mobilisée pour les seuls départements". Soit "environ 200 millions" permettant de "financer des projets ciblés, locaux, notamment dans les territoires ruraux". Rappelons que le fonds vert était initialement calibré à 1,5 milliard, qu'Élisabeth Borne avait ensuite évoqué "entre 300 et 500 millions d’euros supplémentaires" puis que la secrétaire d'État en charge de l'écologie, Bérangère Couillard, a le 11 octobre choisi la fourchette haute en indiquant que le fonds vert serait porté à 2 milliards (voir notre article).

Élisabeth Borne n'a pas éludé les problématiques financières auxquelles sont confrontés les départements. Hausse des dépenses, fragilité des ressources… la plupart des élus ayant pris la parole lors des assises s'en sont fait l'écho avec intensité, quelle que soit leur couleur politique. "Non, les finances des départements ne se portent pas bien !" avait d'emblée résumé François Sauvadet (voir notre article du 13 octobre).

Christophe Béchu lui-même avait d'ailleurs tracé un tableau plutôt sombre, soulignant que les divers états des lieux (celui de la Cour des comptes par exemple) sont "une photographie au 1er janvier, qui ne présume rien du film à venir". Et le ministre de se dire conscient que la hausse des DMTO et la baisse des dépenses sociales liée à celle du nombre des bénéficiaires du RSA appartiennent déjà au passé. Élisabeth Borne a elle aussi évoqué des budgets départementaux "soumis à un effet de ciseaux", des recettes "soumises à une forte variabilité" et de faibles marges de manœuvre du fait de dépenses "sur lesquelles vous n'avez pas la main".

Pas de mesures immédiates de la part de Matignon toutefois, à part la confirmation de deux engagements déjà pris dans le cadre des deux projets de loi financiers du moment :

Confirmation, aussi, concernant le soutien de l'État face aux hausses des prix de l'énergie : "Je souhaite qu’un nouveau filet de sécurité pour toutes les collectivités soit mis en place pour 2023", a déclaré Élisabeth Borne, qui présentera "prochainement les détails de ces mécanismes" déjà évoqués début octobre (voir notre article).

Pour le plus long terme, les choses mériteront d'être précisées. Il a seulement été dit qu'une "clarification sera apportée" pour offrir aux départements "plus de prévisibilité et plus de transparence" sur leurs moyens. Et que le gouvernement entend "simplifier le financement de certaines politiques publiques" et "sécuriser" celui des prestations d'autonomie. Le document commun indique pour sa part que "État et départements conviennent de mener un travail prospectif permettant de s’interroger, à terme, sur l’articulation des structures des recettes et des dépenses" et, notamment, "sur la question du reste à charge des allocations individuelles de solidarité".

En tout cas, les éléments du discours d'Élisabeth Borne n'auront pas épuisé, loin de là, les demandes financières émises par les uns et les autres au fil des assises : mécanisme de péréquation horizontale, bouclier tarifaire énergétique pour toutes les collectivités et pour les établissements sociaux et médicosociaux, prise en compte de l'impact des multiples mesures salariales ou sociales décidées de façon "unilatérale" (Ségur de la santé, avenant 43, point d'indice, hausse du RSA…), moyens spécifiques "pour les 15 à 20 départements les plus en difficulté"…

De même, si certains, à l'instar de Nicolas Lacroix (Haute-Marne), président du groupe "droite, centre et indépendant" de DF, estiment que "l'on n'est pas loin de la confiance", difficile de ne pas sentir un certain décalage entre le fait d'avoir abouti à ce "programme de travail commun" et les insatisfactions ou difficultés exprimées par les élus pendant deux jours.

Le prochain rendez-vous annuel de Départements de France aura lieu à Strasbourg, à l'invitation de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) présidée par Frédéric Bierry.

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